vendredi 25 avril 2014

A l'occasion du 170ème anniversaire de la naissance de Paul Verlaine, les BM de Metz proposent à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 15 juin 2014 une exposition inédite sur les oeuvres érotiques du poète messin. Les occasions de voir exposés au public ces ouvrages que l'on range dans les curiosa restent rares. L'iconographie a longtemps été jugée sulfureuse, au point d'encourir une certaine censure. Qu'on en juge à travers l'amusant destin de la célèbre édition de Parallèlement éditée en 1900 par Ambroise Vollard et illustrée par le peintre Pierre Bonnard de 109 lithographies de couleur rose sanguine.


L'ouvrage fut imprimé à 200 exemplaires sur les presses de l'Imprimerie nationale pour la typographie et sur celle à bras d'Auguste Clot pour les lithographies. Les premiers exemplaires portaient la mention « Imprimerie nationale » sur la couverture et le titre ; mais après l'impression de quelques exemplaires, le directeur de l'imprimerie s'aperçoit de sa bévue : malgré le titre, il ne s'agit pas d'un livre de géométrie (!). Il appelle son ministre de tutelle : l'ouvrage immoral est indigne d'être associé au symbole de la République ; sur la page de titre, on remplace l'estampille du Garde des Sceaux par une lithographie, on appose une mention
« Imprimé par décision spéciale de M. le Garde des Sceaux, ministre de la Justice » et on retire le feuillet de privilège.
Il y a donc des exemplaires de Parallèlement portant l'approbation du gouvernement (!) et d'autres non. Cette suite illustrée par Pierre Bonnard est considérée aujourd'hui comme un chef-d'oeuvre. L'un des charmes de Parallèlement tient à l'extrême liberté de la disposition des images et à l'effusion, jamais contrariée, de cette lumière rose qui court même à travers la grille verbale (François Chapon, Le Peintre et le livre, Paris, 1987).

Mais le poète messin n'a pas seulement célébré l'érotisme : dans un recueil posthume, il consacre 24 sonnets au livre.
" Le vieux livre qu'on a lu, relu tant de fois !
Brisé, navré, navrant, fait hideux par l'usage,
Soudain le voici frais, pimpant, jeune visage
et fin toucher, délice et des yeux et des doigts

Ce livre cru bien mort, chose d'ombre et d'effrois,
Sa résurrection ne surprend pas le sage
Qui sait, ô relieur, artiste ensemble et mage,
Combien tu fais encore mieux que tu ne dois.

On le reprend, ce livre en sa toute jeunesse,
Comme on l'on reprendrait une ancienne maîtresse
Que quelque fée aurait revirginée au point ;

On le relit comme on écouterait la Muse
D'antan, voix d'or qu'éraillait l'âge qui nous point ;
Claire à nouveau, la revoici qui nous amuse. "
Paul Verlaine, in Biblio-Sonnets, poèmes inédits, Paris : Floury,1913.

Préfacé par Pierre Dauze, ce recueil imprimé à 111 exemplaires est illustré de 28 vignettes et culs-de-lampe gravés sur bois et enrichi d'une suite de ces illustrations chine par Richard Ranft. C'est en 1895 que Verlaine et le bibliophile Pierre Dauze firent connaissance chez un bouquiniste. Dauze proposa au poète d'écrire des sonnets inspirés par le livre. Ils ne furent publiés qu'en 1913.